le Sodavi Nouvelle–Aquitaine, qu’est–ce que c’est ?
Le Sodavi – Schéma d’orientation pour le développement des arts visuels – est une démarche initiée de manière conjointe par le Ministère de la Culture — DRAC Nouvelle–Aquitaine, la Région Nouvelle–Aquitaine et les trois réseaux d’art contemporain du territoire : Cartel, CINQ, 25 et Fusée.
L’objectif du Sodavi était de construire collectivement un plan d’actions pour favoriser durablement la place des arts visuels en Nouvelle–Aquitaine et la structuration de l’ensemble du secteur à cette échelle régionale.
La méthode choisie a consisté à mobiliser le plus largement possible les acteurs se reconnaissant comme agissant dans le domaine des arts plastiques et visuels, dans le cadre d’une concertation et d’une enquête. La concertation s’est déroulée à partir de 18 réunions publiques thématiques, organisées dans l’ensemble du territoire régional de novembre 2016 à octobre 2017. L’enquête, coproduite entre les initiateurs du Sodavi et l’agence culturelle régionale L’A., s’est quant à elle appuyée sur deux questionnaires, l’un s’adressant aux artistes, l’autre aux responsables de structures et professionnels indépendants.
Initialement, une commande publique artistique était également prévue, afin de permettre l’appropriation de cette démarche par des artistes désireux de participer au Sodavi au moyen de leurs propres pratiques. Ce projet a toutefois été abandonné au profit d’une réflexion collective, pensée comme préalable, menée sur ce que le dispositif même de commande publique artistique pourrait être en Nouvelle–Aquitaine.
La démarche a conduit à l’établissement d’un état des lieux et d’un diagnostic partagés des arts plastiques et visuels à l’échelle de la Région, et à la formulation de préconisations portant sur les enjeux et problématiques formulées par les acteurs eux–mêmes.
La coordination et la mise en œuvre de l’ensemble du dispositif ont été assurées par ces réseaux.
les initiateurs du Sodavi
La DRAC et la Région Nouvelle–Aquitaine
L’État et la Région Nouvelle–Aquitaine entretiennent de longue date un partenariat au service d’une politique régionale volontariste de soutien à l’art contemporain et aux arts visuels.
La décentralisation culturelle a permis de développer le tissu des lieux qui offrent les conditions nécessaires à la création, la résidence, la recherche et la coproduction, d’expérimenter et développer de nouvelles portes d’accès à l’art et à la culture, de favoriser la jeune création.
L’État et la Région ont pris une part importante dans ce mouvement par leur soutien au développement des missions des centres d’art et des Fonds régionaux d’art contemporain et, plus généralement, à tout ce qui favorise sur le territoire tant la création, la diffusion ou la formation que les pratiques artistiques et culturelles. Ils sont ainsi l’un et l’autre partenaires financiers de structures et/ou lieux dédiés à l’art contemporain dont 49 bénéficient du soutien financier conjoint de l’État et de la Région.
Le Sodavi et son prolongement, le contrat de filière des arts plastiques et visuels en Nouvelle–Aquitaine, réaffirment et consolident leur volonté commune de co–construire une politique publique innovante qui traduise l’ambition artistique et culturelle d’un territoire.
Les réseaux d’acteurs territoriaux Cartel, CINQ,25 et Fusée.
La Nouvelle–Aquitaine est un territoire de création particulièrement riche en ce qui concerne l’art contemporain. Près de 90 acteurs de ce secteur se sont ainsi réunis au sein des réseaux Cartel, CINQ,25 et Fusée : centres d’art, FRAC, écoles d’art, artothèques, musées, galeries, lieux de résidence, collectifs d’artistes, etc. Ces réseaux partagent un même objectif : permettre la création et l’expression artistique en zone urbaine comme en zone rurale, et rendre ces productions artistiques accessibles aux personnes sur tout le territoire régional.
Après avoir travaillé ensemble pendant 2 ans dans le cadre du Sodavi Nouvelle–Aquitaine, ils ont décidé de s’unir au sein d’une même association nommée Astre, pour poursuivre leurs actions spécifiques (programmations culturelles et artistiques, supports de communication, etc.) et coordonner le contrat de filière aux côtés de l’État et de la Région.
Un partenaire associé pour l’enquête : L’A — Agence culturelle régionale de Nouvelle–Aquitaine.
Créée en 1986, L’A. Agence culturelle Nouvelle–Aquitaine est une association missionnée par le ministère de la Culture (Direction régionale des affaires culturelles) et la Région Nouvelle–Aquitaine pour accompagner les acteurs artistiques et culturels dans leur développement. À la croisée du public et du privé, ses services, d’intérêt général, sont accessibles à tous. L’A. est membre de la Plateforme inter–régionale d’échange et de coopération pour le développement culturel (PFI) qui rassemble une douzaine de membres. En tant que lieu ressources, structure d’accompagnement et acteur de coopération, L’A. contribue à la dynamique culturelle des territoires et des différents secteurs et filières du monde culturel. Elle est un appui à l’entrepreneuriat culturel et à la valorisation des projets et des acteurs. Elle développe des savoir–faire reconnus que sont l’observation, l’accompagnement des acteurs et des décideurs, l’animation du dialogue social et met en place une nouvelle mission : la formation professionnelle continue des acteurs du champ culturel.
Le comité de pilotage
La démarche du Sodavi a été conduite sous la responsabilité d’un comité de pilotage associant trois représentants de l’État, trois représentants de la Région et six représentants des réseaux (Cartel, CINQ,25, Fusée) parmi lesquels des artistes plasticiens. Ce comité de pilotage a eu pour rôle de valider tous les éléments nécessaires à la définition et au bon déroulement de la démarche : objectifs et modalités, phasage et formes de la concertation et de l’enquête, éléments de communication, etc.
Le comité technique
En appui au comité de pilotage, le comité technique a pour mission d’assurer l’organisation opérationnelle et le suivi de la démarche, notamment en formulant des propositions concrètes pour la mise en œuvre de chacune des étapes et chacun des aspects du Sodavi. Il était composé de trois représentants de l’État, trois représentants de la Région et sept représentants des réseaux (deux membres de bureau de chaque association et le coordinateur de CINQ,25 puisque celui–ci a assuré la coordination de l’ensemble du Sodavi) parmi lesquels des artistes plasticiens.
Les groupes de travail
Des groupes associant de manière variable les initiateurs du Sodavi ont été organisés tout au long de la démarche pour travailler de manière spécifique sur certains événements et éléments constitutifs du Sodavi : l’organisation des Ateliers fédérateurs, la construction de l’enquête, la réflexion sur la commande artistique.
L’équipe de coordination
Pour mener le travail de développement du projet à l’échelle de la Nouvelle–Aquitaine, les réseaux se sont dotés d’une équipe constituée de deux salariés : le coordinateur de CINQ,25 qui été missionné pour coordonner l’opération au nom des trois réseaux d’art contemporain de Nouvelle–Aquitaine, et une assistante à la coordination du Sodavi recrutée par les trois réseaux ensemble. La constitution de cette équipe commune a, ainsi, marqué de manière tangible la collaboration dans laquelle se sont engagée Cartel, CINQ,25 et Fusée.
Cette équipe a travaillé tout au long de la démarche avec les personnels référents de la DRAC Nouvelle–Aquitaine et de la Région Nouvelle–Aquitaine.
l’enquête auprès des structures et des artistes de la région
En 2017, L’A. (Agence culturelle Nouvelle–Aquitaine). lançait pour le Sodavi Nouvelle–Aquitaine une enquête sur les arts visuels en Nouvelle–Aquitaine. En collaboration avec les réseaux régionaux d’arts visuels, l’État et la Région, 2 questionnaires ont été conçus, à destination des artistes et des structures. Pour une première enquête de ce type en région, le nombre de répondants et la qualité des réponses sont satisfaisants pour une lecture des tendances. Les pages qui suivent résument l’essentiel à retenir des résultats obtenus et les principales problématiques. Ce document vient compléter ceux présentés en 2017 lors des Ateliers fédérateurs : le portrait express des répondants à Oiron en avril et le tri à plat à Aubusson en octobre (cf. base documentaire de L’A).
Les enseignements de ce premier état des lieux néo–aquitain
L’enquête portait sur de multiples aspects de la vie des artistes et des structures, concernant les années 2015 et 2016 pour la plupart des questions. Comme tout travail d’observation, l’appropriation des résultats aura pour effet pour chacun des acteurs du secteur de mieux se connaître et se situer au regard des tendances et de sa place dans l’écosystème. Ce travail concourt au rassemblement de données et de ressources à disposition de tous et peut favoriser les conditions d’une construction partagée du développement du secteur.
Les limites à dépasser
Les arts visuels englobent un périmètre large allant de pratiques plastiques traditionnelles aux arts les plus contemporains dont les arts numériques et le design. La liste des répondants à l’enquête n’offre qu’une lecture partielle de l’ensemble des champs ouverts par les arts visuels. Si la lecture des tendances fortes est intéressante, le faible nombre de répondants appelle à une vigilance quant à la montée en généralité des constats statistiques chiffrés.
L’échantillon comporte vraisemblablement une surreprésentation de certains profils d’artistes et de structures (catégorie, territoire, âge, degré de dépendance aux financements publics) et une sous–représentation d’autres (galeries privées et écoles d’arts notamment), ce qui est dommageable pour la connaissance partagée. Enfin, qu’elle soit qualitative et/ou quantitative, rappelons qu’une enquête ne vient qu’en complément du travail d’échange et de dialogue permanent nécessaire au bon fonctionnement de l’écosystème.
L’intérêt de l’observation partagée pour la consolidation de l’écosystème
Cette photographie, plutôt nette mais incomplète, doit servir d’outil pour observer la structuration de l’écosystème des arts visuels en Nouvelle–Aquitaine. Pour de meilleurs contrastes, clartés et profondeurs, soulignons l’intérêt de l’observation participative et partagée, où les enquêtés sont contributeurs des hypothèses à tester, et d’un inventaire exhaustif des structures actives sur tous les territoires, quelles que soient leur modèle économique.
les artistes des arts visuels installés en Nouvelle–Aquitaine : principaux traits et problématiques du métier
Les artistes sont le cœur de la création. L’enquête se concentrait sur celles et ceux résidant dans les 12 départements de la Nouvelle–Aquitaine. Ils y travaillent mais pour la plupart exportent leurs travaux au–delà de la région.
Les 173 réponses d’artistes reçues et exploitées permettent une lecture régionale des principales caractéristiques du métier de ces personnes.
une estimation difficile du nombre d’artistes des arts visuels
La Maison des Artistes (MDA) et l’Agessa sont agréés pour la gestion administrative de la branche des arts graphiques et plastiques du régime obligatoire de sécurité sociale des artistes auteurs, l’Agessa s’adressant notamment aux photographes.
La Nouvelle–Aquitaine concentre 4 347 artistes cotisant à la Maison des Artistes (MDA), soit 7,2% du nombre en France source : données 2016 / Maison des artistes, rapport d’activités 2016 auxquels pourraient s’ajouter les cotisants à des sociétés d’auteurs comme l’Agessa donnée non disponible. En France 4 550 photographes sont affiliés Agessa et environ 5 571 assujettis. La Nouvelle–Aquitaine rassemblant 5,2 % des 16 718 affiliés..
Au regard de la population globale, la Nouvelle–Aquitaine rassemble en moyenne 7 artistes pour 10 000 habitants, c’est 1 de plus que la moyenne nationale hors Île–de–France où ce ratio atteint 22 et où la proportion d’affiliés est la plus importante (42%). 32% sont affiliés en Nouvelle–Aquitaine, ce ratio est le même que la moyenne nationale hors région parisienne.
Alors que la MDA et l’Agessa rassemblent en France pour près des 3/4 des graphistes, peintres et photographes (cf ci–contre), les 3/4 des 173 répondants de la région déclarent une activité artistique pluridisciplinaire ou sans limite disciplinaire. Et le quart restant décrit son activité par rapport à un seul medium (photographes, peintres et sculpteurs en tête).
des artistes hautement diplômés
Les 2/3 des artistes interrogés détiennent un diplôme de niveau post–Bac, tous domaines confondus. 45% atteignent Bac+5 (niveau master) ou +8 (doctorat). C’est relativement important compte tenu qu’en région le taux de diplômés post–Bac parmi les 25–64 ans est de 25% source : Recensement de la population 2014, Insee.
Toutefois, 45% des artistes ne déclarent aucun diplôme spécifiquement artistique et comme un artiste le précise, il n’y a «pas besoin de diplôme pour être artiste». L’enquête ne permet pas de mesurer si le diplôme accroît les chances de réussite mais la formation de l’artiste est le facteur favorablement déterminant dans le parcours le plus partagé entre les répondants (59% des réponses). De plus, l’accès aux tranches de revenu les plus élevées y semble corrélé.
une plus forte implantation dans certains départements ?
Sans pouvoir mesurer l’homogénéité de la diffusion virale du questionnaire, il existe une surreprésentation des artistes dans les départements de la Gironde (30%), les Pyrénées Atlantiques (18%) et la Dordogne (15%) soit 63% des réponses La population relative de ces 3 départements est respectivement de 26 %, 12 % et 7 %, soit un total de 45 % – source : RP 2014, Insee. Des facteurs explicatifs peuvent être avancés : le poids et l’attraction de la métropole bordelaise (Gironde), les Pyrénées Atlantiques comme zone relativement urbaine attractive à divers niveaux et dotée de 2 écoles supérieures d’art, l’importance historique des politiques en faveur des arts plastiques en Dordogne.
la vente d’œuvre toujours au cœur d’un métier en évolution
La vie de l’artiste ne se cantonne pas à la seule exposition et vente de ses oeuvres. Pour autant la vente d’oeuvres produites par l’artiste reste un marqueur important pour 73 % des répondants enquêtés. Exclusivement en vente directe, 94 % des transactions se font à destination de personnes ou de structures privées.
Le temps de travail se répartit aujourd’hui entre l’accueil en résidence de création–recherche, la candidature à des appels à projet thématiques ou de territoires (dont commandes d’oeuvres), la transmission de savoir faire (technico–artistiques), l’intervention dans des milieux spécifiques (scolaire, quartiers, prisons, santé)…
Si les appels à projets créent autant d’élus que de déçus, une vigilance est pointée sur les difficultés de répondre aux critères et de devoir accepter par exemple que « l’aspect médiation l’emporte sur la pertinence artistique ». En sollicitant l’artiste pour cette double action (médiation et création), même si elles ne sont pas incompatibles, certains répondants pointent le risque que le montant attribué ne couvre au final que l’une des deux.
une équation complexe entre proximité et éloignement
34% des artistes répondants sont installés dans la métropole de Bordeaux ou dans les agglomérations de Limoges et Poitiers, ex–préfectures régionales où subsistent des antennes des services nationaux et régionaux. Une grande partie des autres artistes vit en milieu rural, là où certains considèrent que «les conditions de travail et de vie sont très bonnes [et où] seul le transport est une contrainte», voire que «l’artiste peut être mobile pour travailler ailleurs (résidences, projets particuliers) sans nécessairement changer de domicile de base».
La distance interroge alors la proximité de services et lieux utiles au parcours de l’artiste, mais également la temporalité et l’organisation de son travail. Pour un aller–retour dans l’une de ces 3 villes–préfectures, 47 % des répondants mettent plus de 3h en voiture. Les 25 % les plus éloignés ont besoin de 4 h. Pour cette raison, certains répondants envisagent un rapprochement ou déménagement, convaincus par l’idée que «pour cultiver les réseaux afin de développer son activité il est nécessaire d’être présents dans les grandes villes».
des difficultés financières : entraves à l’activité de création
Le temps du travail artistique est souvent discontinu et le manque de moyens (de création et de subsistance) exige souvent l’exercice d’une autre activité rémunératrice pour l’artiste mais concurrentielle à l’activité de création. Cette problématique pousse la majorité des artistes à des choix cornéliens et souvent à vivre dans une précarité quasi–permanente.
“[à propos] de l’éternelle question concernant les artistes. Le facteur temps est très important. Si l’on veut ne pas être en proie au stress économique il est bien de pouvoir avoir une activité salariée mais cela laisse peu de temps pour la création. Et inversement si l’on souhaite se consacrer pleinement à la création les pressions économiques sont réelles. Aussi nous sommes contraints à la pluriactivité. Pour ma part je crois que cela peut parfois être riche.”
les indicateurs convergents de la précarité des artistes enquêtés Le revenu de solidarité active (RSA) : Le RSA assure aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu qui varie selon la composition du foyer. Le RSA est ouvert, sous certaines conditions, aux personnes d’au moins 25 ans et aux jeunes actifs de 18 à 24 ans s’ils sont parents isolés ou justifient d’une certaine durée d’activité professionnelle.
Allocation chômage d’aide au retour à l’emploi (ARE) : L’allocation chômage est un revenu de remplacement versé par Pôle emploi, sous certaines conditions, aux personnes inscrites comme demandeurs d’emploi et involontairement privés d’emploi.
Les témoignages de l’échantillon interrogés sont concordants sur l’état de précarité largement partagé, en voici quelques exemples chiffrés marquants :
— plus des 2/3 des répondants ont déclaré un revenu net d’activité globale inférieur au Smic en 2015 et pour la majorité d’entre eux inférieur à 5 000 €.
— 42% ont été bénéficiaires d’allocations chômage ou du RSA en 2015 ou 2016.
— Un quart des répondants sont bénéficiaires du RSA en 2016.
— 79% déclarent un chiffre d’affaire en 2016 en–dessous du seuil nécessaire pour l’affiliation (8 649 €) alors que la part des affiliés à la MDA en région est de 32%.
— Lorsqu’une oeuvre est financée par une structure, la majorité des artistes doivent avancer les frais de production.
Un sentiment d’agacement ou de résignation est partagé parmi les réponses mais cette précarité est parfois ressentie comme intrinsèque au métier. Certains relatent que même lorsque la production d’une oeuvre est financée, le temps de travail n’est pas toujours payé ou que celui «nécessaire à la recherche n’est nul part pris en compte».
“Le RSA (45 % de mes revenus) reste le seul moyen de pouvoir pallier les périodes creuses. Par choix, je n’ai aucune activité annexe […]. La création et la recherche nécessitent une disponibilité totale ; il en est de même pour les dossiers de candidature qui demandent un travail important et investi. En gros, beaucoup de travail et d’investissement pour une situation toujours précaire.”
des stratégies pour répondre aux besoins financiers premiers
Pour faire face à la discontinuité des revenus artistiques et pérenniser leur carrière artistique, diverses configurations de vie sont à l’oeuvre (choisies ou subies), parmi lesquelles :
— Le développement d’activités connexes ou en lien direct avec la création artistique (61% des cas en 2016) : ateliers autour du travail de l’artiste, commissariat d’exposition, enseignement en école d’art, médiation ;
— L’exercice d’un ou plusieurs métiers en dehors des arts visuels (24% des réponses en 2016), considérés «alimentaires» pour certains, dans divers secteurs : un des autres secteurs culturels, hôtellerie–restauration, services à la personne, location immobilière, enseignement, artisanat… ;
— L’aide d’un proche (exemple : le revenu du conjoint).
“Je n’ai pas pu développer ce projet [artistique] faute de temps (je suis happée par mon activité d’enseignant) et de moyens financiers.”
Ces configurations sont parfois combinées. Plus d’un artiste sur 10 développe à la fois une activité connexe et un métier hors arts visuels. Mais cette démultiplication de l’activité n’est pas sans causer des problématiques d’organisation du temps et de vie. Notons toutefois que 23% des répondants déclarent n’avoir aucune autre activité rémunératrice que leur activité artistique en 2016, se consacrant pleinement à la création, mais souvent au détriment des moyens de subsistance.
“Mes revenus artistiques n’ont jamais été suffisants pour vivre au–dessus du seuil de pauvreté, le temps passant, j’ai fait le choix de devenir enseignant fonctionnaire en arts plastiques en passant le concours.”
l’appui des structures, des institutions et le réseau pour le développement de carrière
Le temps de la reconnaissance de l’artiste est souvent considéré (trop) long. La valeur médiane de l’âge déclaré de professionnalisation de l’activité artistique est de 32 ans soit 7 années après obtention du dernier diplôme le cas échéant (25 ans valeur médiane). Même si beaucoup de commentaires sont critiques à l’égard des institutions ou des structures culturelles, parfois considérées comme une «citadelle imprenable», le besoin de reconnaissance du travail de l’artiste selon les répondants passe par ces mêmes structures et cela constitue parfois une difficulté récurrente. Se pose ainsi l’importance du travail des structures intermédiaires de développement d’artiste, rôle que jouent aussi pour partie les autres types de structures (enseignement, diffusion, création–production). Le parcours de l’artiste se développe souvent par ouverture de portes successives. Le maillage d’un réseau d’affinités et de travail constitue un facteur important pour la carrière de l’artiste. Aussi il est intéressant de constater que l’activité collective concerne 33% des répondants et l’adhésion à un réseau ou une association de professionnels (24%).
les structures vouées au développement des arts visuels dans les territoires de Nouvelle–Aquitaine
Les structures d’arts visuels forment un écosystème complexe centré sur les artistes, la création et sa relation aux habitants et citoyens, où les différents acteurs mettent en lien leurs compétences, leurs moyens et leurs outils. Si la notion de filière n’est pas toujours admise par les acteurs des arts visuels, ce champ de la création repose bien sur une chaîne non linéaire et aux maillons interdépendants : formation (dont auto–formation) ; expérimentation–recherche ; création–production ; diffusion–valorisation ; vente d’œuvres ou de savoir faire.
De l’exploration des 81 réponses de structures actives de l’écosystème des arts visuels en région se dégagent des tendances majeures et des problématiques.
la typologie principale des structures
En catégorisant les structures selon 4 grands types d’activité principale, la plus représentée est la diffusion (62% de l’échantillon), laquelle s’effectuant à la fois dans des lieux dédiés et de manière nomade.
L’échantillon comprend 13 structures bénéficiant d’une convention avec le Ministère de la Culture : les 5 écoles supérieures d’art de la région, les 3 FRAC ainsi que 5 des centres d’art conventionnés.
Il est important de noter que certaines typologies sont très peu ou pas représentées parmi les réponses exploitées, c’est le cas des structures hors des circuits institutionnels (galeries, collectionneurs privés, critiques d’art, organisateurs de salons ou foires) mais aussi des écoles d’art (inter)communales et des lieux pluridisciplinaires.
Rappelons également qu’il n’existe pas d’inventaire complet des structures en Nouvelle–Aquitaine dédiées aux arts visuels Pour repère, un total de 132 structures avaient répondu à l’enquête régionale (dont 81 ayant fourni des réponses exploitables)..
l’importance de la pluriactivité pour les structures
Le questionnaire proposait de cocher une ou plusieurs des 10 activités listées ci–dessous.
Rares sont les structures qui ne déclarent qu’1 à 3 activités simultanées. L’écrasante majorité met en oeuvre 4 activités ou plus (86%), la médiane étant de 6 cumulées.
Cette pluriactivité répond à un certain nombre d’enjeux qui restent à analyser.
la « médiation » : une préoccupation partagée
La diffusion est sans surprise l’activité la plus partagée des structures répondantes (91%). Viennent ensuite la médiation et l’éducation artistique (86%). Les réponses détaillées montrent une multiplicité et une variété des actions menées par les structures pour rapprocher les publics et les oeuvres, parfois construites sur mesure avec des partenaires du territoire et des habitants. Cela montre leur intérêt et leur contribution au développement des droits culturels des personnes, même si ce point n’est pas mesurable par l’enquête.
Cette fonction de médiation et d’éducation artistique est exercée pour la majorité des cas par des médiateurs rémunérés, salariés de l’équipe ou parfois externalisés pour des missions courtes.
Soulignons que pour 20% des structures, une ou plusieurs personnes sont dédiées exclusivement à la fonction de médiation. C’est notamment le cas des FRAC et de la majorité des centres d’art ou assimilés.
Au total, la médiation concerne 10% de l’ensemble des personnes salariées des structures répondantes avec un fort taux de temps partiel néanmoins. Pour les structures déclarant au moins un médiateur de métier, ce ratio grimpe à 27% de l’équipe.
l’accompagnement des artistes : marqueur commun mais hétéroclite
L’aide au développement professionnel des artistes est commun à 73% des structures. Activité intrinsèque des organismes dédiés à la création–production, cette fonction est néanmoins présente chez tous les types de structures. Cependant, elle revêt des formes très différentes et non comparables, d’autant que le service, parfois facturé, n’est pas doté des mêmes moyens humains selon les structures et donc du même niveau d’aide aux artistes. Cette hétérogénéité est certainement accentuée selon les territoires, il existe notamment dans certains départements des dispositifs spécifiques, portés par des structures d’arts visuels, dédiés aux artistes précaires (bénéficiaires du RSA notamment).
En majorité, l’accompagnement passe par l’orientation et la mise en réseau vers des partenaires et d’autres interlocuteurs (63%) et la communication (53%).
les structures comme éléments catalyseurs de l’écosystème des arts visuels et agents économiques ?
Pour la mise en oeuvre de leurs actions, les structures déclarent être en lien régulier avec des artistes (93% des structures) ou avec d’autres typologies de structures d’arts visuels (75%). L’appel à des prestataires de l’ensemble de l’économie est également très partagé : les imprimeurs et les assureurs en tête (81% et 77% des structures concernées), les graphistes, l’hébergement, la restauration, le transport d’oeuvres ou de personnes (67% des structures pour chacun de ces services)… La liste des corps de métiers sollicités déclarés par les répondants est très étendue : menuisier, traducteur, sécurité, potier, développement web, fournisseurs de matériaux, attaché de presse, carrossier, paysagiste, traiteur, ferronnier… En moyenne les structures déclarent une vingtaine de prestataires différents, la moitié en déclarent plus de 10 (médiane).
Par toutes ces relations mises en oeuvre, les structures s’efforcent de faciliter les conditions du travail de l’artiste, la production artistique et l’appropriation des oeuvres. Elles sont d’ailleurs citées par 77% des artistes répondants comme “facteurs favorables” dans leur parcours (“votre/vos formation(s)”, “l’appui d’une structure culturelle ou d’une galerie”).
De plus, il n’est pas étonnant de constater que les échanges sont déclarés fréquents avec les collectivités territoriales (85% des structures), avec l’État, par l’entremise de la DRAC, mais également via ses autres ministères (73%). La satisfaction des partenariats avec les financeurs locaux ou régionaux est plutôt bonne : 8 structures sur 10 se déclarent satisfaites de leurs échanges avec la Région, 7 structures sur 10 le sont avec leur DRAC, leur Mairie ou leur Département. Le questionnaire ne permet pas d’observer la cohérence territoriale des différents niveaux d’intervention publique pour les porteurs de projets arts visuels.
le regroupement d’acteurs : un enjeu pour la structuration du secteur ?
Les 3/4 des structures sont membres en moyenne de 2 regroupements d’acteurs (fédérations, réseaux, collectif de structures). Parmi ceux–ci, 7 sont européens, 22 nationaux, 11 régionaux et 7 locaux. Le plus courant est le niveau régional (62% des structures), puis vient le niveau national (43%), presque toutes les structures concernées sont membres d’au moins un de ces 2 niveaux (73%). Les autres niveaux sont partagés par moins de 12% des structures chacun. Notons que les réseaux européens sont absents chez les structures dont l’activité principale est la diffusion.
Parmi la variété des réseaux, il ressort une approche transversale assez marquée. En effet se retrouve liée, par l’entremise des structures, une grande variété de types de regroupements : certains spécifiques aux arts visuels ou à d’autres secteurs culturels, certains touchant globalement le développement culturel ou avec une approche plus transversale (économie sociale et solidaire, socio–culturel).
Mise à part l’affiliation de fait de certains types d’organismes (Platform: regroupement des FRAC, dca: association française de développement des centres d’arts, Andea: association nationale des directeurs des écoles supérieures d’art), on peut imaginer des motivations diverses : accéder à un moyen d’échange entre pairs, intégrer une dynamique dépassant le territoire d’action habituel de la structure ; ne pas disparaître des radars institutionnels et améliorer le travail de veille ; ou encore contribuer à la structuration professionnelle des arts visuels et la reconnaissance collective.
À l’inverse, on peut se demander quels sont les freins ou les motivations derrière la non appartenance à un regroupement d’acteurs (25% des structures), en termes de temps, de distance, de “retours sur investissement”…
le paradoxe de la proximité
Les structures ont pour but commun de rapprocher les éléments–clés de l’écosystème : les publics, les oeuvres et les artistes. Ce besoin de proximité est contrebalancé par des situations géographiques atypiques, dont l’éloignement fait le charme et la singularité de la structure mais aussi constitue un défi à relever. À la question des faiblesses de la structure, les répondants citent “sa localisation”, “son isolement en milieu rural”, où les “arts visuels [sont] mal connus et inspirent souvent de la méfiance”, avec des problèmes de “modestie budgétaire”, de “coût des transports pour faire venir les scolaires”, de difficultés à sensibiliser “les élus avec un mandat régional”. Tandis que pour décrire les forces, (parfois les mêmes structures) font état de “son enracinement” ou de “sa localisation en milieu rural”, “pour familiariser le public hors des grandes villes aux expressions contemporaines”.
les richesses humaines au service des arts visuels
L’activité des structures s’appuie sur un travail salarié pour 72% d’entre elles. En 2015, un total de 615 salariés est recensé dans l’échantillon, avec un recours au temps partiel important (total de 382 équivalent–temps–plein (ETP)). L’indice de temps partiel est de 0,62 tandis qu’à l’échelle de la population active française cet indice est de 0,78 ou de 0,76 en resserrant sur l’emploi culturelsource : Insee / DADS 2014. Les deux–tiers de l’emploi salarié se situent dans des structures de statut public, notamment dans l’enseignement supérieur public (48%).
Recensées par l’enquête également, 36 personnes en contrat aidé sont réparties dans 30% des structures. 50 personnes sont également mises à disposition par des collectivités. Soulignons aussi l’accueil de 110 étudiants–stagiaires en formation pour un tiers des structures. Plus marginalement, 8 services civiques sont déclarés.
Cette dimension professionnelle est complétée par du bénévolat (deux–tiers des structures), totalisant 1266 personnes et représentant une économie non monétaire non négligeable car les estimations déclarées totalisent 31,3 ETP. Ces bénévoles sont plus présents chez les diffuseurs nomades et événementiels (à la fois en nombre et en ETP).
En totalisant toutes les ressources humaines déclarées, selon l’activité principale de la structure ressortent les structures d’enseignement qui concentrent 51% de l’ETP cumulé.
des moyens budgétairesPour une analyse comparable entre structures, la part arts visuels du budget des structures pluridisciplinaires a été extraite. 3 structures n’ont pas renseigné cette section. modestes hors écoles d’arts, majoritairement issus de financements publics
89% des budgets cumulés par les structures de l’échantillon sont issus du financement public (subventions et dépenses internes des collectivités), avec des écarts importants selon le type de structure.
La part du financement public du budget des structures atteint 95% pour les écoles supérieures d’art labellisées, dont c’est le modèle économique. À elles seules, elles rassemblent 61% des budgets cumulés (ainsi que 65% des financements publics totalisés dans l’échantillon). Le financement public dépasse 90% pour les FRAC, les centres d’art conventionnés et les écoles municipales d’art. Tandis qu’il n’atteint pas la moitié des revenus des structures ressources et d’accompagnement professionnel (39%) et des galeries d’art (34%).
Hors structures de formation, les 10% des structures les plus dotées budgétairement cumulent 18% du total des budgets, 18% des financements publics, 30% du mécénat cumulé et 13% des produits de ventes. Notons également que le mécénat et les ventes ne rassemblent respectivement que 5,1% et 1,3% du budget global et ne concernent que 37% et 25% des structures.
Sur l’échantillon des structures répondantes, les principaux financeurs publics sont les Communes et leurs Intercommunalités (39+7=46%), le ministère de la Culture (26%), la Région (16%) et les Départements (2%) note : 2 % autres financements publics, 8 % non renseignés. Hors structures d’enseignement, les principaux financeurs publics sont la Région (33%), le ministère de la Culture (27%), les Communes et leurs Intercommunalités (9+5=14%) et les Départements (6%) note : 3 % autres financements publics, 17 % non renseignés.
que sait–on de l’activité artistique des plasticiens ?
que sait–on de l’activité artistique des plasticiens ?
Françoise Liot, sociologue, Centre Émile Durkheim, Université de Bordeaux
L’enquête réalisée en Nouvelle–Aquitaine dans le cadre du SODAVI, donne une multitude d’indications brutes sur la complexité du travail artistique actuel. Pour éclairer les résultats de cette enquête, il nous a semblé nécessaire de les confronter aux réflexions des sociologues qui ont travaillé ces dernières années à l’analyse des transformations de l’activité des artistes. Depuis les travaux pionniers de Raymonde Moulin au tout début des années quatre–vingt (Moulin, Passeron et al., 1985), jusqu’à l’étude récente de Sabrina et Jérémy Sinigaglia sur les temporalités du travail artistique paru en août 2017, la sociologie s’est appliquée à dépasser les représentations ou les croyances attachées aux professions artistiques pour mettre en évidence leur situation objective, leur complexité, leurs paradoxes et surtout pour proposer des éléments d’analyse de ces réalités complexes. Ils n’ont eu de cesse de construire cette analyse en rapportant les observations de ces pratiques à une réflexion plus globale sur les situations des activités professionnelles aujourd’hui dans nos sociétés modernes montrant tour à tour les spécificités de la situation des artistes mais aussi la manière dont les contextes socio–économiques modelaient ou s’incorporaient à la réalité du travail artistique.
Les résultats de l’enquête menée par l’A. Agence Culturelle Nouvelle–Aquitaine donne l’image d’une activité artistique prise dans une série de paradoxes qu’il nous semble intéressant de tenter d’éclairer. Elle montre une activité tendue entre un désir de liberté et une situation de précarité dont il est bien difficile de savoir si elle est souhaitée ou subie.
L’activité artistique semble également relever tout autant d’une activité solitaire que d’une dimension collective. Régie par le statut de travailleur indépendant, l’activité des plasticiens peut sembler encore très fortement liée, par de nombreuses composantes, à une activité individuelle voire individualiste. La singularité, au cœur de la définition moderne de l’artiste, reste un élément prégnant des représentations sociales et conduit à véhiculer cette image de l’artiste solitaire. Toutefois, d’autres métiers artistiques ont montré que la valorisation du singulier et du marginal n’est pas antinomique avec la création de collectifs de travail. Les arts du spectacle, et notamment le théâtre, sont de ce point de vue intéressants puisque si l’idée de création originale y est tout aussi importante que pour les arts plastiques, la nécessité du travail en équipe a conduit au développement d’une filière structurée et organisée. Les modes d’organisation du travail dans les arts plastiques se transforment eux aussi avec, notamment depuis le début des années 2000, le développement des collectifs d’artistes et de multiples formes de collaboration et de coopération.
On constate aussi une opposition entre une volonté d’intégration des artistes, une revendication d’une meilleure reconnaissance sociale de leur activité et une position de subversion, de critique sociale, qui conduit certains à assumer une marginalité. Il s’agit même parfois de contestation sociale qui, si elle est rarement accompagnée par un engagement dans une organisation politique, pourrait se définir par ce que Danilo Martucelli (2006) nomme un militantisme « singulier ».
Enfin, l’enquête révèle un autre type de tension entre une activité qui reste très largement dépendante d’un marché de collectionneurs ou d’amateurs d’art et des ressources institutionnelles qui agissent aussi bien pour favoriser la création que la diffusion des œuvres auprès des publics. Ainsi, à l’instar d’autres domaines culturels (par exemple les musiques actuellesPour les musiques actuelles, les modes de production et de diffusion liés aux industries culturelles ont conduit ces musiques à se développer d’abord dans le cadre d’une économie marchande et d’une diffusion de masse. L’intervention des collectivités publiques dans ce domaine est récente. Il en va tout autrement de l’économie des arts plastiques, traditionnellement inscrite dans une économie de la rareté et qui, à ce titre, a tout de suite nécessité une intervention des collectivités publiques et d’abord de l’État pour préserver la création et pour rendre accessible les oeuvres porteuses de valeurs sociales essentielles à la constitution et au maintien du lien social.), l’activité artistique des plasticiens est à considérer dans cette articulation entre sphère privée et sphère publique.
Alors comment analyser ces tensions et ces paradoxes de l’activité artistique ?
1. changement dans les représentations et les pratiques
La sociologie de P.M. Menger (2002) a marqué fortement les modes d’analyse du travail artistique. Il montre en effet comment la figure de l’artiste, loin de se définir par une marginalité économique et sociale, se trouverait en adéquation très forte avec le développement du capitalisme de la fin du XXe et du début du XXIe siècle et particulièrement avec la transformation du salariat, l’individualisation des relations d’emploi et la poussée de professionnels autonomes. Le travail artistique pourrait même servir de figure de proue au renouvellement de ces modes de travail. Il représenterait, en effet, une sorte d’avant poste de la flexibilité, de l’innovation et de l’engagement au travail nécessaires au développement du capitalisme, paradoxalement, en accord parfait avec l’idéal d’un travail libre et non aliénéL’intermittence est présentée comme un idéal type de flexibilité, mais c’est de façon générale toute l’activité artistique qui semble significative de cette transformation du travail.. Ce « portrait de l’artiste en travailleur » a joué le rôle d’un révélateur déplaçant le curseur de l’analyse de l’activité artistique de la question de la vocation et de la marginalité, attachée à l’image romantique de l’artiste, à la question de la reconnaissance de la dimension entrepreneuriale du travail artistique. La montée du travail par projets dans toutes les organisations du travail devient une des modalités significatives de cette mise en correspondance (Boltanski, Chiapello, 1999). Il permet en effet de sortir des logiques salariales et hiérarchiques habituelles pour aller vers l’autonomie du travailleur et valorise sa mobilité et sa créativité. En mettant l’accent sur l’engagement dans l’activité orientée par la recherche d’un résultat, il brouille la séparation habituelle entre vie privée et vie professionnelle mais postule aussi l’épanouissement de l’individu par le travail. Ainsi, l’activité artistique ne semble plus si spécifique, elle peut dès lors être considérée avec les mêmes modes d’analyse que les autres activités professionnelles en mettant l’accent sur les ressources et les compétences dont disposent les artistes. On s’éloigne alors définitivement d’une conception de l’artiste comme « état », au sens d’un ensemble de dispositions et de prédispositions, pour y voir un travailleur comme les autres.
Ce changement est d’autant plus fort, que si l’activité artistique peut être considérée à l’avant poste de la transformation du mode de production capitaliste, l’organisation des mondes de l’art se trouve affectée en retour par ces transformations. On constate en effet un mouvement de rationnalisation qui conduit au développement du travail administratif par exemple, mais aussi au développement des logiques de rentabilité ou de maitrise des coûts qui renforcent les contraintes de gestion et, d’une manière générale, au tournant managérial qui conduit à appliquer à de nouveaux secteurs d’activité (notamment le secteur public et associatif) des règles de fonctionnement empruntées au secteur privé. Ces changements participent eux aussi à redéfinir les principes de l’activité artistique en sollicitant de nouvelles compétences et de nouvelles représentations attachées à l’activité.
À la fin des années quatre–vingt–dix, une jeune artiste pas encore diplômée de l’école des Beaux–arts écrivait pour son travail de fin d’études : « L’introverti peut être génial mais ce n’est pas un artiste » (Liot, 2004). Cette affirmation qui attaque frontalement la représentation romantique de l’artiste et qui conduit cette jeune postulante à découpler le génie et la difficulté relationnelle est significative de ce tournant. La figure de l’artiste entrepreneur fait son apparition et met l’accent sur des aspects qui ont souvent été occultés par la focalisation sur la dimension hors norme de cette position. L’artiste d’aujourd’hui ne peut plus (sauf à le refuser volontairement) ne pas prendre en compte cette nouvelle affirmation de l’identité professionnelle qui fait de lui un entrepreneur de lui–même, capable d’inventer sa propre économie, lucide sur le contexte et les règles qui organisent les mondes de l’art, stratège et négociateur, capable de construire et d’entretenir des réseaux. Ce changement est aussi marqué par l’importance croissante des intermédiaires professionnels car si l’activité artistique est amenée à se transformer et en appel à de nouvelles compétences, une partie des tâches est aussi déléguée à ces nouveaux intermédiaires (agents d’art, associations supports…).
Ainsi, l’image de l’artiste se transforme–t–elle et avec elle les possibilités d’identification professionnelle. Mais plus que le remplacement d’une conception par une autre, il semble plutôt qu’il y ait une addition de représentations. L’image de l’artiste, solitaire, introverti, incompris, marginal, n’a pas cessé définitivement d’exister d’autant plus que toute identification permet aux personnes de construire leur place sociale et d’habiter un rôle. Elle prend appui et s’inscrit dans une histoire psychologique individuelle et dans une trajectoire de vie.
Il semble toutefois qu’on observe une césure générationnelle, si l’on en croit les travaux récents de Sabrina et Jérémy Sinigalia (2017). Le modèle de « l’artiste bohème » s’opposerait ainsi au modèle de « l’entrepreneur » et cette opposition serait marquée par un rapport au temps différent chez chacune de ces catégories d’artiste. Les artistes de la « génération historique » nés dans les années cinquante–soixante tenteraient surtout de s’extraire de la pression et de « cultiver le temps libre pour favoriser l’éclosion de la créativité » alors qu’une seconde génération « socialisée professionnellement à l’ère du projet (…) valorise plus ou moins malgré elle la rapidité et la performance » (p. 163). Des aspirations différentes distinguent aussi ces artistes. La reconnaissance est ainsi moins valorisée pour la première catégorie que la volonté de maîtriser son rythme de travail et de diminuer ses contraintes. Alors que des méthodes managériales s’invitent dans la seconde catégorie pour répondre aux contraintes temporelles et construire des stratégies de rationalisation du temps. Si les modèles coexistent, il est clair qu’aujourd’hui l’artiste entrepreneur semble bien mieux armé pour construire son parcours au sein du monde de l’art actuel et que cela suppose, pour les autres, une adaptation qui peut parfois prendre appui sur les nouveaux intermédiaires mais qui nécessite toujours une réorganisation de ses dispositions sans quoi le risque est grand d’être relégué aux marges des mondes de l’art.
2. dimension collective de l’activité
Le régime de la singularité (Heinich, 1996) s’est imposé dans le domaine artistique au point d’attacher souvent à l’image de l’artiste celle de l’introspection et de la solitude, voire de l’isolement, comme condition de la création. Dès le début des années quatre–vingt, H.S Becker (1988) déstabilise cette représentation de l’artiste en montrant au contraire que toute création est le résultat de coopérations et d’interactions entre acteurs régies par des conventions qui traversent les « mondes de l’art ». Si les notions de création originale et d’auteur se sont imposées et s’inscrivent même dans le droit, H.S Becker montre qu’il s’agit d’une construction sociale qui conduit à valoriser dans une chaîne de coopération un individu (un réalisateur, un auteur, un metteur en scène, un plasticien…) comme ayant la paternité principale d’une œuvre qui contiendrait une partie de sa personnalité. Ainsi, l’analyse de l’activité artistique découvre–t–elle l’importance « des personnels de renfort », personnels administratifs et techniques et ensemble des intermédiaires qui contribuent à la production et à la diffusion de l’œuvre et qui en deviennent des rouages essentiels.
Pourtant, cette représentation de l’artiste solitaire imprègne plus fortement le secteur des arts plastiques que celui du théâtre ou de la musique notamment où la dimension collective est inscrite immédiatement dans les conditions de production de l’œuvre. Pour les plasticiens, les deux temps de production et de diffusion sont traditionnellement distincts, l’artiste produit, dans le secret de son atelier, un objet qui tient à son savoir–faire mais aussi à sa personnalité et à ce qu’il y projette intimement. Il s’agira seulement dans un second temps d’envisager les modalités d’exposition et de mise en partage de ce travail et de penser à sa commercialisation puisqu’il ne répond pas à une demande préalable.
Toutefois, si ce modèle reste en partie vrai aujourd’hui, il s’est modifié de bien des manières. Dès la création, beaucoup d’artistes font le choix de travailler voire de déléguer parfois une partie de la réalisation technique d’une œuvre à des artisans ou des techniciens par exemple ce qui conduit à des collaborations dès la réalisation de l’œuvre. Une partie du travail des artistes par ailleurs est un travail de commande publique ou privée qui implique toujours une concertation avec de multiples acteurs. De surcroît, les œuvres de collaboration se développent, la participation des différents publics est venue depuis quelques années nourrir une manière de penser la création plus partagée et davantage liée à une multitude de contextes sociaux (les quartiers relégués, l’hôpital, la prison…).
Plus encore, le tournant du XXIe siècle est marqué par une accentuation de l’organisation des plasticiens en collectifs ou en associations professionnellesÀ ce titre la FRAAP, Fédération des Réseaux et Associations d’Artistes Plasticiens, créée en 2001, est significative de ce mouvement. Elle induit une nouvelle forme de représentation des plasticiens aux côtés des syndicats mais en s’en distinguant. On adhère en effet individuellement à un syndicat alors que la FRAAP rassemble des artistes déjà organisés en collectifs.. Si la particularité de cette organisation est sa multifonctionnalité, on peut toutefois y repérer quelques traits spécifiques (Liot, 2009). Les collectifs prennent souvent naissance à l’école des beaux–arts ou dans son sillage, à ce titre ils peuvent être perçus comme un prolongement de la sociabilité de l’école et d’une socialisation au fonctionnement du milieu artistique. Ils sont ainsi des lieux de transmission d’informations et de construction de réseau. De fait, ils s’adaptent tout à fait au travail par projet qui se développe dans le milieu artistique dans la mesure où ils permettent de réunir très vite diverses compétences et ainsi d’apporter la meilleure réponse à des commandes ou des appels à projets. Ils remplissent donc un rôle stratégique mais parfois aussi instrumental lorsqu’ils offrent à certains de leurs membres la possibilité d’occuper dans la structure un poste pérenne, mais bien plus souvent ponctuel, de salarié par le biais d’emplois aidés notamment. Enfin, beaucoup de collectifs sont traversés par une même conception de l’art et de l’activité artistique qui soude ses membres autour de valeurs et de démarches spécifiques. Ils peuvent fournir aussi une meilleure visibilité aux artistes, notamment en direction des collectivités publiques.
Cette coopération apparaît à la fois comme nécessaire au vu du développement du capitalisme actuel et souhaitable pour sortir des logiques de concurrence et réinventer dans l’art d’autres rapports sociaux et d’autres organisations du travail plus égalitaires et plus épanouissantes (Henry, 2004). Cette nouvelle tendance de l’art place l’artiste, de plus en plus, dans des logiques de co–création et de négociation avec un environnement pour faire de l’activité artistique une activité intersubjective. De ce point de vue « l’art renoue avec la question du politique, par sa capacité à créer de nouveaux agencements (…) » (Nicolas–Le–Strat, 2000, p.24) et il apparaît comme une forme de réappropriation du sens de l’activité. La volonté de ces collectifs de s’inscrire dans l’économie sociale et solidaire est souvent une réponse pour souscrire à l’exigence d’une activité entrepreneuriale sans renoncer pour autant à être des acteurs du changement social et à contribuer à construire le monde de l’art de demain. Ainsi, par le biais des collectifs, bon nombre d’artistes font entendre une voix pour participer à une transformation sociale et inventer d’autres relations de travail et parfois même d’autres rapports à l’activité (Riou, 2017).
3. changement dans les représentations et les pratiques
L’activité artistique laisse apparaître une autre série de paradoxes. En effet, le monde de l’art est très hiérarchisé, le talent, l’excellence y sont des valeurs fortes. Ainsi, beaucoup de chercheurs se sont intéressés au plus haut niveau du marché de l’art. Ils ont montré notamment comment se construit la valeur sur un marché de l’art contemporain internationalisé (Moulin, 1992 ; Moureau, Sagot–Duvauroux, 2010). Pourtant, peu d’artistes parviennent à une reconnaissance sociale importante. Ainsi, le fort prestige, la réussite professionnelle et les revenus élevés restent un résultat exceptionnel des trajectoires artistiques. P.M. Menger (2009) a montré comment, même si cette situation est rare, l’espoir de pouvoir un jour atteindre un tel niveau de réussite et la forte incertitude liée aux carrières artistiques permet de comprendre pourquoi tant d’artistes s’engagent dans cette activité à risque. D’autres composantes de cet engagement sont aussi à souligner, tels la satisfaction au travail et les gains non monétaires attenant à l’activité artistique. L’authenticité, la liberté créatrice, l’absence de routine, un rapport au travail non aliéné apparaissent comme des éléments de motivation nécessaires à l’entrée et au maintien dans l’activité. Elles peuvent être vécus pour certains comme une résistance ou un militantisme face aux modalités actuelles du travail (Riou, 2017).
Dégagées de la question de la réussite, les études récentes sur les artistes portent ainsi sur ce que Géraldine Bois et Marc Perrenoud nomme les « artistes ordinaires », ceux qui ont en « commun de n’être ni riches (relativement aux marché professionnel où ils exercent), ni célèbres. Ce ne sont ni des « stars », ni de « grands » artistes, très reconnus et consacrés » (2017). L’analyse des parcours artistiques révèle des itinéraires bien souvent chaotiques. Loin des carrières linéaires qui conduiraient progressivement à accumuler tous les signes de la reconnaissance, les trajectoires d’artistes sont faites de succès ponctuels qui offrent une visibilité régionale, permettent d’investir dans un atelier ou de voyager par exemple, suivi de projets laborieux mais moins reconnus, et d’un enchaînement de gains financiers confortables sur une période et désastreux sur une autre. Cette situation ne caractérise pas seulement les débuts de carrières, même si la constitution d’un réseau et l’accroissement des compétences permettent de mieux s’adapter à la discontinuité des trajectoires, ils ne parviennent que partiellement à sécuriser les parcours. On constate aussi combien les parcours des artistes s’opèrent aux croisements de plusieurs cercles et de plusieurs modes de légitimités. À un travail de production d’œuvres originales par exemple peut s’adjoindre un travail d’illustration ou de graphisme, une activité de transmission artistique ou encore une activité de régie d’œuvres d’art, sans que ces emplois qui ne relèvent pas de la création personnelle ne soient nécessairement dévalorisés. Ils peuvent au contraire être eux aussi investis complétement par l’artiste et être porteurs de légitimités propres.
Dans ce contexte, la pluriactivité n’est pas exceptionnelle mais elle est au contraire la règle. S’il existe des manières extrêmement variées de vivre cette situation et d’agencer les tâches, cette diversification a bien souvent été analysée, elle aussi, en lien avec les changements de l’activité professionnelle (Bureau, Schapiro, 2009). Elle ne peut plus être considérée aujourd’hui uniquement comme une nécessité économique mais elle est aussi une manière d’accroître ses compétences, de diversifier ses réseaux, d’inscrire son activité créatrice au cœur d’une diversité de problématiques sociales. Il ne s’agit pas forcément de s’éloigner de sa pratique artistique mais d’assumer une logique d’entrepreneur qui combine une multitude de facettes et de compétences.
Il reste que cette diversification pose tout de même la question du temps et de la concurrence des temps sociaux. À l’articulation entre ces diverses temporalités de l’activité artistique s’ajoute par exemple celle des temps familiaux accentuée encore chez les femmes qui continuent de prendre en charge (même chez les artistes !) la plus grande partie des tâches liées au foyer et aux enfants (Sinigaglia et Sinigaglia–Amadio, 2017).
Par ailleurs, il n’est pas toujours évident de ne pas se perdre dans cette diversité des tâches. L’identité d’artiste risque en effet de se diluer quand elle rencontre les perceptions que peuvent avoir les partenaires professionnels des artistes par rapport à l’activité. En effet, les identités se construisent dans l’interaction or bon nombre des interlocuteurs des artistes n’ont pas suffisamment intégré les multiples facettes que peut revêtir le travail artistique. Ainsi, par exemple une femme artiste qui expose peu peut–elle facilement être assimilée à une femme au foyer qui cherche seulement à s’occuper par la pratique artistique. Un artiste dont l’activité de transmission en atelier s’intensifie peut être considéré rapidement comme un animateur socioculturel. Il en va de même de la représentation des artistes au RSÀ facilement assimilés à des losers qui devraient se reconvertir. Ils ont bien souvent du mal à faire valoir la spécificité de leur situation auprès des services sociaux, alors même que pour un certain nombre d’entre eux, ce minima social est utilisé comme un revenu complémentaire pour pallier à la discontinuité des carrières (Sigalo–Santos, 2016).
Surtout, l’analyse des « artistes ordinaires » montre comment une très grande majorité d’entre eux parvient à s’inscrire dans une activité professionnelle grâce à des réseaux locaux, dans un rapport de proximité construit avec le temps. Pour un bon nombre, les ressorts de l’activité passent par « la satisfaction du client, l’établissement d’une relation de confiance et d’une réputation par le bouche à oreille, dans un registre très proche de celui qui préside habituellement au rapport au travail des artisans » (Bois, Perrenoud, p15). L’activité bénéficie d’une reconnaissance « modeste » sur des territoires et le travail créatif s’opère fréquemment en croisant une diversité de contextes (l’éducation, le soin, le social…) où les compétences artistiques sont aujourd’hui valorisées. Il s’agit une fois de plus d’une rupture avec l’idéal de « pureté » artistique. L’activité se construit en lien avec de nouveaux marchés dans ce que Pascal Nicolas–Le–Strat appelle une situation de créativité diffuse (1998).
4. activité artistique et mondes de l’art
Il n’est pas possible de traiter de l’activité artistique sans prendre en compte les modes d’organisation des « mondes de l’art » (Becker, 1988). Comme il n’existe pas une seule manière d’être artiste, il n’existe pas non plus un seul contexte d’exercice professionnel (De Vries et al. 2011). Chaque monde est régi par des conventions professionnelles qui s’articulent avec des conceptions de la valeur artistique et de ce que doit être l’activité artistique aujourd’hui. Celles–ci déterminent des conditions de production et de diffusion, les modes de commercialisation, les profils d’acquéreurs et de publics. La vente individuelle à des particuliers, notamment par l’intermédiaire des galeries, a été le modèle dominant de l’activité artistique à partir du XIXe siècle. Elle vient se substituer à la commande publique de l’État ou de l’Eglise qui a pu dominer à d’autres époques. Elle suppose une conception de l’art comme objet unique ou reproductible dans des conditions maitrîsées (peinture ou sculpture principalement) produit par l’artiste et propre à être installé à l’intérieur des logements des particuliers. Ces œuvres sont bien souvent sélectionnées pour la qualité de leur facture et leur portée émotionnelle et décorative. Aujourd’hui encore ce mode de commercialisation reste très important mais il n’est certainement pas le plus visible.
À partir des années quatre–vingt en France, les politiques publiques en matière d’arts plastiques ont fait le choix d’aider à la production et à la diffusion de ce qu’il est convenu d’appeler l’art contemporain. Ces formes d’art issues des Avant–gardes développées au début du XXe siècle se sont internationalisées après la seconde Guerre Mondiale. Elles portent des valeurs de transgression des frontières qui définissent l’art pour le sens commun et d’innovation plus ou moins radicale. De ce fait, elles n’échappent pas complétement au marché de l’art traditionnel et aux galeries mais elles portent une autre conception de l’objet qui ne peut plus toujours être produit et vendu dans les mêmes conditions. Ces œuvres contiennent plus souvent une dimension conceptuelle, elles sont parfois éphémères lorsqu’elles donnent lieu à des performances ou à des installations. Elles peuvent aussi être envisagées en fonction d’un contexte dans l’espace public par exemple. Le soutien à ces formes d’art va dans le sens d’un accompagnement des transformations de la création qui traverse le XXe siècle et d’une lutte contre un immobilisme qui a marqué fortement, par le passé, l’intervention publique dans ce domaine. Il a conduit également à transformer complètement l’enseignement à l’intérieur des écoles des Beaux–arts pour en faire des lieux d’innovation. Ce soutien public à l’offre et à la demande d’art contemporain va lui donner une forte légitimité à travers un processus d’institutionnalisation. Des aides publiques vont venir à la fois soutenir la création à travers le développement de résidences et d’aides directes notamment aux jeunes artistes alors que l’achat va se développer à travers les FRAC par exemple ou les musées d’art contemporain. Des commandes publiques pourront aussi être passées à des artistes pour intervenir dans l’espace public comme ce fut le cas lors de l’installation du tramway à Bordeaux. Des appels à projets pour intervenir en milieu scolaire ou dans différents contextes peuvent aussi prolonger le dispositif. La particularité de ce « monde » institutionnel est d’agir sur l’économie de l’art et le soutien à la création mais aussi de s’employer à une transmission de valeurs et de jouer un rôle dans la réception de cet art.
D. Sagot–Duvauroux (2011) décrit deux modèles d’économie de l’art, l’un orienté vers les œuvres et l’autre vers les projets. Dans le premier, c’est l’œuvre qui est évaluée et la transaction marchande reste la sanction finale. Dans le second, c’est le processus créatif et la démarche qui est jugée et qui donne droit à des aides à la production, souvent sous forme de subventions. Comme il est aussi question de valeurs artistiques, ces deux modalités économiques peuvent exister de manière étanche et générer des réseaux assez différents, mais il existe aussi des possibilités d’hybridation en tout cas pour certaines fractions du monde des galeries et de celui des institutions publiques. Ces mondes par ailleurs ne génèrent pas une seule manière d’être artiste mais une pluralité d’usage de ces ressources.
La vente à des collectionneurs ou à des amateurs occasionnels se situe dans une relation complexe à l’institution, ce n’est pas le modèle qui aujourd’hui semble le plus visible ni le plus légitime notamment en région. Il (il s’agit du modèle) continue pourtant d’être une source essentielle de revenu pour les artistes. À ce titre, il (idem) constitue en quelque sorte la partie immergée d’un iceberg, qui reste importante par ce qu’elle structure dans l’activité artistique mais qui est trop souvent méconnue et invisibilisée par des politiques publiques de l’art nettement orientées vers une économie de projet. Pourtant, ce marché des œuvres n’est pas figé et il peut aussi s’avérer innovant, il se transforme face au numérique par exemple avec une multitude de nouveaux intermédiaires qui ont la capacité de transformer ou de construire de nouvelles formes de légitimité. Ainsi, « les marchands et les galeristes, (à l’instar des autres intermédiaires), ne se contentent pas d’apprécier la valeur des artistes à partir de cadres d’évaluation prédéterminés (…) : ils participent à construire ces cadres notamment par l’implication dans l’émergence de catégories ou « mouvements » artistiques. » (Besse, Chauvin, p19)
conclusion : alors que faire ?
Il serait bien présomptueux à l’issue de ce court texte de donner des recettes pour construire des politiques publiques qui n’auraient pas encore été inventées. Pour conclure, il s’agit surtout de tracer quelques pistes qui peuvent nourrir la discussion largement entamée par la démarche du SODAVI.
Il semble tout d’abord que le secteur des arts plastiques ait besoin de structuration pour lutter contre l’isolement des artistes, permettre la circulation de l’information et constituer ce qu’on pourrait appeler une filière. Ainsi, l’un des rôles essentiels des politiques publiques pourrait être d’agir dans ce sens en repérant les leviers possibles pour une telle action.
Pour cela, il semble nécessaire de ne pas prendre en compte qu’une seule dimension de l’économie de l’art mais bien ses différentes composantes. Continuer à construire avec une pluralité d’acteurs s’avère ainsi nécessaire pour penser l’articulation entre acteurs publics et privés de l’art et entre les enjeux de soutien à la création et la recherche de multiples modalités d’inscriptions sociales de l’art.
Par ailleurs, une politique de structuration ne peut se décréter d’en haut, elle suppose des réajustements et surtout des collaborations entre différents échelons de politiques publiques et en appel à une interterritorialité. Elle nécessite aussi de mobiliser d’autres secteurs de l’action publique tel l’économie, l’aménagement du territoire, l’éducation… et d’agir conjointement pour prendre en compte la pluralité de la valeur artistique. L’art et les artistes sont des ressources pour un territoire, à ce titre, ils peuvent participer à un mouvement d’innovation sociétal. Ils ont un rôle à jouer pour penser autrement les rapports au travail, mais aussi les relations sociales, le rapport aux apprentissages… à condition de favoriser l’émergence d’espaces de créativité qui puissent s’inscrire véritablement dans la société et qui ne soient pas des entre–soi artistiques. Il est important, pour se faire, de se méfier d’une tendance à la normativité et à la bureaucratisation qui peut faire obstacle à un processus d’innovation. L’innovation, par définition, n’est pas là où on l’attend, elle ne se décrète pas mais elle apparaît dans des interstices et des marges qu’il convient de cultiver avec bienveillance. De ce point de vue, le rôle des intermédiaires apparait déterminant à condition de reconnaître leur diversité, l’originalité et l’autonomie de leurs démarches. Ils ont assurément un rôle à jouer pour favoriser les connexions entre les démarches artistiques et la diversité des marchés et pour inventer de nouvelles légitimités.
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L’artiste pluriel. Démultiplier l’activité pour vivre de son art.
Liot F. « Collectifs d’artistes et action publiques » Bureau M.–C., Perrenoud M., Shapiro R., (dir.)
Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires de Septentrion, 2009, pp. 51–64
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Forgé par l’épreuve : l’individu dans la France contemporaine
Martuccelli D
Paris, Armand Colin, 2006
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Le travail créateur, s’accomplir dans l’incertain
Menger P.–M.
Paris, Gallimard, 2009
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Faire “œuvre collective” aux frontières des mondes de l’art, rapport de recherche
Milliot V. (dir.)
Université Lumière Lyon II — Ariese, 2004
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Les artistes, essai de morphologie sociale
Moulin R., Passeron J.–C., Pasquier D., Porto–Vasquez F.
Paris, La Documentation française, 1985
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L’Artiste, l’Institution, le Marché
Moulin R.
Paris, Flammarion, 1992
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Le marché de l’art contemporain
Moureau N., Sagot–Duvauroux D.
Paris, La Découverte, collection « Repères », 2010
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Le travail du commun
Nicolas–Le–Strat P.
Paris, Éditions du commun, 2016
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Une sociologie du travail artistique – artistes et créativité diffuse
Nicolas–Le–Strat P.
Paris, L’Harmattan, 1998
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Biens symboliques
Perrenoud M., Bois G. « Artistes ordinaires : du paradoxe au paradigme ? »
Revue des sciences sociales sur l’art, la culture et les idées Presses Universitaires de Vincennes, n°1, 2017, pp. 2–33
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Faire ou ne pas faire ? Travail et paresse dans l’activité artistique au tournant du XXIe siècle (1980–2014)
Riou P.
Thèse pour l’obtention du doctorat de la Communauté universitaire Grenoble Alpes, Histoire mention Histoire de l’art, 2017
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L’administration des vocations, ou la spécialisation d’une action publique généraliste. Enquête sur le traitement du chômage artistique en France.
Sigalo–Santos L.
Thèse pour l’obtention du doctorat de sciences politiques, Université Paris 8 – Vincennes Saint–Denis, 2016
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Temporalités du travail artistique : le cas des musiciennes et des plasticiennes
Sinigaglia–Amadio S., Sinigaglia J.
Paris, Département des Etudes de la Prospective et des Statistiques, Ministère de la culture, 2017